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III. L' aboutissement à la bombe
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Après 2 ans, 3 mois, et 16 jours de travaux incessants, le 16 juillet 1945, à 5h29 du matin, les chercheurs mobilisés autour du Projet Manhattan testent la première bombe atomique de l'histoire dans le désert de Jornado del Muerto, dans l’État du Nouveau-Mexique, lors du test Trinity. Oppenheimer la baptise Gadget parce qu'elle n'était pas encore opérationnelle pour un usage militaire. Les responsables du projet choisissent le lieu d'Alamogordo où ils mettent en place des structures complexes : une tour pour accueillir la bombe et de nombreux postes d'observation disposés autour. Le but de l'essai est de confirmer l'efficacité de la bombe et la réussite des recherches scientifiques menées.
La première bombe atomique de l'histoire était construite selon la technique par implosion. La matière fissile, le plutonium 239, est comprimée par l'explosion simultanée des explosifs placés autour du coeur. L'onde de choc comprime le plutonium dont la densité augmente ce qui déclenche la réaction en chaîne, et donc l'explosion. Par cette méthode, le plutonium est compressé en forme de boule compacte ce qui permet d'éviter la perte d'un trop grand nombre de neutrons. Lorsque la masse critique est atteinte, c'est-à-dire quand la matière est capable d'entretenir la réaction en chaîne, la fission nucléaire se déclenche. Dans la bombe Gadget, c'est le plutonium qui est utilisé comme matière fissile. Le plutonium 239 dégage plus de neutrons lors de sa fission, sa masse critique est donc plus faible, par conséquent le bombe nécessite une masse moins importante de matière, La bombe Trinity ne contenait ainsi que 10 kilogrammes de plutonium 239, qui ont permis de déclencher une explosion équivalente à celle de 19 000 tonnes de TNT.
Après avoir inséré le coeur de plutonium, les scientifiques hissent la bombe au sommet de la tour métallique qui doit lui servir de support. La bombe explose à 5h29 du matin, sous l'oeil de plusieurs dizaines de scientifiques, rassemblés dans un abri bétonné. Il se produit un éclair aveuglant jusqu'à 35 kilomètres du lieu de l'explosion, équivalente à 19 kilotonnes de TNT. L'onde de choc est ressentie jusqu'à 160 kilomètres du site et le champignon atomique s'élève à 12 mètres de hauteur. Un cratère de 3 mètres de profondeur et de 330 mètres de diamètre se forme sur le lieu de la détonation. Le général Groves relate ainsi l'évènement :
"Un nuage compact, massif se forma puis monta en fluctuations vers la hauteur avec une puissance effrayante. A la première explosion se succédèrent deux autres de moindre luminosité. Le nuage monta à une grande hauteur ; il prit une forme de globe, puis celle d’un champignon, puis s’allongea en forme de cheminée et finalement s’éparpilla en plusieurs directions sous les vents qui soufflaient aux diverses altitudes."
"La hauteur du champignon atomique, comparé à la Tour Eiffel"
Les scientifiques mesurent à peine l'ampleur de ce qui vient de se passer devant eux. Robert Oppenheimer, directeur du projet, déjà perturbé par des questions éthiques suite à la découverte de la bombe à ultrasons, dira : "Maintenant, je suis devenu un compagnon de la mort, un destructeur de mondes."
Le test Trinity est donc un succès et concrétise les mois de recherches du Projet Manhattan. Les Etats-Unis sont prêts à exploiter leur découverte à plus grande échelle. Avec la confirmation que leurs bombes sont opérationnelles et qu'elles ont un potentiel de desctruction immense, le président des Etats-Unis Harry Truman, prévenu du succès de l'opération, voit en elles la possibilité de mettre fin à la guerre rapidement. Les combats dans le Pacifique font rage depuis plus d'un an et la bataille d'Okinawa, particulièrement meurtrière pour les deux camps (7 374 tués et 31 807 blessés du côté de l'armée américaine), vient de s'achever. Il sait qu'une invasion du Japon est impossible, les pertes humaines seraient trop grandes. La bombe atomique représente donc l'opportunité idéale pour forcer la reddition de Hirohito et la fin des combats.
"La meurtrière bataille d'Okinawa qui décida Harry Truman à employer les bombes issues du Projet Manhattan"
Truman a alors recours à une commission interiméaire pour déterminer si les Etats-Unis doivent se servir de leur nouvelle arme. Le comité réunit quelques membres de l'Administration (Stimson, le général Marshall, James F. Byrnes, futur secrétaire d'État de Truman) et trois savants (Vannevar Bush, James Conant, président de Harvard, Karl Compton), ainsi qu'un comité consultatif réunissant les principaux physiciens du Projet Manhattan (à savoir Oppenheimer, Fermi, E. O. Lawrence, Arthur H. Compton).
Les premières propositions avancées sont de larguer la bombe dans une zone désertique du Japon ou de lancer un avertissement préalable. Mais ces propositions seront rejetées. Pour la commission, le largage de la bombe dans une zone désertique ne serait pas assez convaincant pour entraîner la capitulation japonaise, et l'avertissement préalable serait trop risqué en cas d'échec de l'opération. La commission préconise finalement une utilisation de la bombe contre le Japon, sans avertissement, tout en précisant qu'il n'y a pas "d'alternative acceptable à une utilisation militaire directe". De plus, Truman subit la pression de l'opinion publique américaine, qui a hâte d'en finir avec cette guerre. Truman signe donc l'ordre d'opération pour les raids nucléaires le 24 juillet.
"Le président Harry Truman, entouré par ses conseillers"
Les deux dernières bombes du Projet Manhattan, Little Boy et Fat Man, sont respectivement larguées au-dessus de Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945.
La première bombe nuclaire de l'histoire utilisée à des fins guerrières, baptisée Little Boy, fut larguée sur Hiroshima au Japon le 6 août 1945 par le B-29 Enola Gay de l'armée américaine. Elle fut lâchée à 9600 mètres d'altitude et la détonation eut lieu à 580 mètres d'altitude. Avec sa puissance de 13 à 16 kilotonnes, cette bombe fut dévastatrice. On compta 70 000 morts directement liées à l'explosion et l'onde de choc. Les effets se prolongèrent dans le temps : irradiations, retombées radioactives, contaminations.
"Photo de Little Boy"
"Hiroshima après l'explosion de Little Boy au-dessus de la ville"
La bombe Little Boy était une bombe dite à insertion. Ce principe consiste à projeter un bloc de matière fissile sur un autre, et ainsi de suite, jusqu'à arriver à la masse critique déclenchant la fission nucléaire. La matière fissile, l'uranium 235, fut donc divisé en deux parties : le projectile et la cible contre laquelle il serait projeté. Le projectile était un empilement de 6 anneaux d'uranium protégés par une plaque en acier et en tungstène, représentant 40% de la masse totale. La cible était un cylindre de mêmes dimensions, contenant les 60% d'uranium restant. La balle d'uranium fut projeté à 300 m/s à l'aide de cordite, un puissant explosif. Les scientifiques utilisèrent 64,1 kg d'uranium 235 enrichi pour fabriquer la bombe. Celui-ci provenait de la mine de Shinkolobwe, au Congo belge.
La manipulation de la bombe était particulièrement périlleuse, l'allumage intempestif de la cordite pouvait entraîner une explosion désastreuse. La cordite ne fut donc placée qu'après le décollage du B-29. Le détonateur était relié à un altimètre qui déclenchait l'explosion de la bombe dès que la distance au sol était celle voulue. Après environ 10 millisecondes, la réaction en chaîne se lançait, sans aucune possibilité de l'arrêter.
Fat Man (littéralement homme obèse, nommée ainsi en référence caricaturale à Winston Churchill) fut la troisième et dernière bombe issue du Projet Manhattan, mais aussi la dernière utilisée à des fins offensives. Elle est larguée sur Nagasaki au Japon le 9 août 1945 par l'armée américaine, à partir d'un B-29 comme pour Hiroshima. Si sa puissance était supérieure à Little Boy, environ 21 kilotonnes, elle fit cependant moins de victimes à cause de la nature vallonnée du terrain. On dénombrera cependant pas moins de 40 000 morts et 25 000 blessés.
Sa composition et sa structure étaient relativement différentes de Little Boy. En effet, la matière fissile était le plutonium 239, comme la bombe Gadget. En outre, elle était construite sur le principe à induction. Au lieu d'une percussion entre différents blocs de matière, elle était constituée d'un coeur unique de plutonium donc la réaction en chaîne était déclenchée par sa compression et donc l'augmentation de sa densité. La quantité de matière fissile nécessaire est bien moins importante car la perte de neutrons est moindre. En cas d'échec de l'explosion en altitude, les chercheurs avaient prévu un système pour que la bombe explose au sol et donc, qu'elle ne livre pas ses secrets aux japonais.
Gadget, Little Boy et Fat Man furent les trois uniques bombes résultant directement du Projet Manhattan, même si les recherches nucléaires ont continué par la suite. En effet, l'Atomic Energy Act est signé le 1er août 1946, planifiant le transfert de l'ensemble des activités du projet Manhattan à la commission de l'énergie atomique des États-Unis. Les explosions de ces trois bombes, respectivement à Alamogordo (test), à Hiroshima et à Nagasaki marquent le début de l'ère atomique et la maîtrise d'une nouvelle puissance extraordinaire. Le Projet Manhattan reste à l'heure actuelle la course à l'armement la plus importante de l'Histoire. Il coûta environ 2 milliards de dollars USD, ce qui représenterait aujourd'hui un coût faramineux de 21 milliards de dollars USD.